Chère Lectrice, cher Lecteur,
Pendant longtemps le fatwood (ou bois gras en bon français) était pour moi une sorte de produit mythique réservé au bushcrafters américains, ou un truc qu’on pouvait commander sur internet sous forme de petits bâtonnets tout beaux tout propres avec un trou pour y mettre une ficelle, produits en massacrant des forêts de séquoias millénaires.
Jusqu’au jour où j’ai fait l’effort de m’y intéresser de plus près, et où j’ai réalisé qu’il y en avait en abondance tout autour de moi dans les nombreuses forêts de résineux de ma région. Qu’il suffisait de très peu d’effort pour s’en procurer, et qu’en acheter sur internet était un gros gaspillage d’argent.
Je vous fais part aujourd’hui de ma méthode préférée pour m’en procurer.
(Brève) définition
Le fatwood (désolé pour les puristes du français, je n’utiliserai que le terme anglais dans cette chronique) est fondamentalement un morceau de bois saturé de résine.
Donc, par définition, on n’en trouve que dans les forêts de résineux…ou sur internet.
Le fatwood du commerce
Si vous n’avez pas de forêts de conifères près de chez vous, vous pouvez en commander sur internet sous la forme de petits bâtonnets comme ceux-ci, qui sont « taillés à la main dans du bois de Pino del Ocote » et « utilisés par les Mayas comme bougies et briquets depuis 3 800 ans ». Ils sont labélisés FSC et vous couteront environ 12 francs suisses le kilo (hors frais de port), ou ceux-ci qui proviennent du Pinus montezumae du Honduras (et labélisés PEFC).

Sinon, trouvez-vous une forêt de conifère, et lisez la suite de ma chronique !
Comment se forme le fatwood ?
Le fatwood se forme là où la résine se concentre, soit principalement dans la souche de l’arbre, et (ce qui nous intéresse aujourd’hui), à la jonction des branches avec le tronc.

Sur un arbre vivant, on trouvera évidemment de la sève à ces endroits là (ça fait partie du métabolisme normal de l’arbre). Il est possible de récolter un peu de fatwood en sciant une branche au ras du tronc, en la coupant en biais et en grattant le cœur de la branche. Le bois dans cet état ne sera pas forcément le plus intéressant, puisqu’il sera encore « frais », et la résine peu concentrée. De plus vous « abimez » un arbre vivant.
Récolter sur du bois mort !
Je préconise de ne récolter votre fatwood que sur des arbres morts.
A la mort de l’arbre, la résine aura tendance à se concentrer à ces emplacements. La résine étant imputrescible et hydrofuge, le bois saturé en résine résistera très longtemps à la décomposition, alors que le reste du tronc se désagrégera lentement.
C’est cette propriété qui nous intéresse pour ma méthode.
La situation qui vous demandera le moins de travail est la suivante :
- Tronc au sol
- Suffisamment décomposé pour avoir perdu l’ecorce
- Suffisamment décomposé pour que le tronc soit pourri
- Pas trop décomposé non plus sinon il n’y a plus rien
- Avec des moignons de branches de 3 à 5 cm de diamètre
Cette liste semble assez restrictive, mais en réalité dans une forêt de résineux naturelle, on trouve énormément d’arbres comme ça.
Il faut bien entendu que la forêt ne soit pas sur-entretenue ou exploitée trop intensivement (coupe rase).
La tendance depuis quelques années pour la sylviculture et l’exploitation forestière en Suisse est de laisser un maximum de bois mort dans les forêts (soit les branches et le refus après une coupe forestière, soit les vieux arbres morts ou les arbres abattus par le vent).
Ce bois non récolté représente une aubaine écologique pour le cycle de la nature, en permettant à de nombreux animaux d’y trouver refuge, aux décomposeurs de recycler entièrement l’arbre…et aux amateurs de bushcraft d’y trouver du fatwood !
Branche vs souche
La résine se concentre également dans la souche, mais y récolter du fatwood s’avère à mon avis plus compliqué.
L’accès à la zone chargée en résine, au cœur de la souche, nécessite beaucoup plus de travail. Vous trouverez peut-être une souche taillée à la tronçonneuse, mais je préfère la récolte à la base des branches puisqu’elle peut se faire même dans une forêt non touchée par les activités humaines !
La préparation du fatwood, illustrée
Pour vous démonter à quel point trouver, préparer et utiliser du fatwood est simple dans le contexte d’une forêt naturelle de résineux, je vais vous illustrer l’entier du processus.
Contexte
Un mardi après-midi, je suis allé faire le goûter avec mes enfants dans la forêt, après avoir récupéré ma fille ainée à la sortie de l’école.
Nous sommes allés nous promener dans une forêt de conifères à environ 1200 m d’altitude, fondée sur un ancien éboulement (une « ovaille »).
C’est un endroit magnifique où je vais souvent avec eux pour m’aérer ou pour passer une nuit sous tente.
C’est une forêt naturelle et mature, avec de nombreux vieux arbres, une majorité de résineux mais quand même quelques feuillus, et une magnifique couche de mousse et de sphaigne qui tapisse le sol vallonné.

L’arbre mort
En redescendant à notre véhicule, je trouve cet arbre mort au bord du chemin :

A l’œil et par expérience, je sais déjà que j’y trouverai du fatwood. Il répond à plusieurs de mes critères :
- Il n’a plus d’écorce
- Il semble suffisamment décomposé, mais sa surface est sèche, et il n’est pas entièrement recouvert de mousse
- Il a de nombreux « moignons » de branches du bon diamètre, dont plusieurs sont bien verticales et éloignées du sol
Prélèvement d’une branche
Je constate immédiatement en bougeant un des « moignons » de branche que j’ai vu juste : la branche se détache très facilement du reste du tronc.
L’intérieur du tronc est complétement pourri, on voit par sa couleur rougeâtre qu’il est humide et décomposé.


Séparer la zone riche en résine du reste
Il s’agit maintenant d’accéder au cœur de la jonction entre la branche et le tronc, en enlevant un maximum de bois pourri ou non chargé en résine.
Le bois pourri se détache très facilement. Vous sentirez sous la lame de votre couteau quand vous atteignez le fatwood, car il est beaucoup plus dur.

La partie de la branche la plus éloignée du tronc est de moins en moins chargée en résine, il ne sert donc à rien d’en conserver une grande longueur.
Séparer le morceau en deux
Une fois le morceau bien nettoyé (vous devez sentir que le bois qui reste ne laisse plus de sensation d’humidité sur les doigts), vous pouvez mettre votre nez dessus : à ce stade déjà, vous devez sentir une odeur de résine se dégager du bois, plus forte que celle du bois décomposé.
Vous pouvez maintenant fendre le morceau en deux pour accéder au cœur du fatwood.

Selon le diamètre du morceau de bois que vous avez choisi, une simple pression sur le dos du couteau avec votre main suffira à le séparer en deux. S’il est plus gros, vous procéderez par batonnage.

Les morceaux ainsi fendus dégageront une odeur de résine bien plus forte, et vous verrez la teinte orangée du bois.
Vos bâtonnets de fatwood sont maintenant prêts à l’emploi !
Utilisation du fatwood
Pour utiliser votre fatwood, dans le but d’allumer un feu avec une tige de ferrocérium (firesteel !), je vous conseille de trouver un morceau d’écorce ou un bout de boit bien plat, sur lequel vous allez recueillir la poussière de fatwood à enflammer.
Dans mon cas, j’ai trouvé une « planchette » dans l’extérieur du tronc, d’environ 5cm de large sur 15cm de long

Le grattoir de secours
J’ai toujours sur tous mes firesteel une cordelette au bout de laquelle j’ai attaché une lame de ciseau en guise de grattoir. Celle-ci me permet, même si je n’ai pas de couteau, ou que je ne souhaite pas abîmer la lame d’un couteau revêtu, de toujours pouvoir gratter du fatwood et faire des étincelles.

Les premiers firesteel que j’ai utilisé provenait d’un magasin de surplus militaire, et étaient vendus avec des grattoirs trop petits et globalement peu efficaces.
J’ai rapidement remplacé ceux-ci par des grattoirs fait maison. Au-début, j’utilisais des morceaux de lame de scie à métal, et utilisait les dents de la scie pour arracher du métal au morceau de ferrocérium. On peut encore en voir les traces sur la photo ci-dessus. C’est un de mes plus vieux firesteel, et je l’ai passablement abimé avec cette méthode.
La lame de ciseau s’avère bien plus efficace pour démarrer un feu, car elle offre une meilleure prise en main que le grattoir du commerce ou que la lame de scie, et fait beaucoup d’étincelles sans arracher trop de métal, contrairement à la scie.
Bien sûr, la meilleure méthode reste l’utilisation du couteau, mais le grattoir de secours peut toujours servir.
En mettant le couteau bien perpendiculaire au bâtonnet, faites des va-et-vient en arrachant à chaque mouvement descendant un peu de fatwood.
Vous pouvez appuyer la pointe de votre bâtonnet sur la planchette pour plus de stabilité. Maîtrisez votre force et vos gestes, afin de ne pas donner un grand coup dans votre planchette, et disperser ainsi toutes les raclures de fatwood que vous aurez déjà générées.

Vous vous retrouverez avec un petit tas de poussière et de raclures. Un tas plus gros sera plus facile à allumer (les étincelles de votre firesteel auront plus de chance de tomber juste), et il brûlera plus longtemps. L’expérience vous dira jusqu’à quelle taille minimale de tas vous pouvez descendre pour réussir vos allumages
Allumage !
Un fois votre tas suffisamment gros, il ne vous reste plus qu’à y projeter quelques étincelles avec votre firesteel.
En général, c’est le moment où vous avez le plus de risque de tout faire foirer, en donnant un grand coup de couteau en travers de votre tas, et en dispersant toute votre poussière précieusement récoltée. Donc :
- Maîtrisez vos gestes !
- Appuyez la pointe de votre tige de ferrocérium sur la planchette pour plus de stabilité
- Placez vos pouces sur la face de la lame du couteau pour plus de précision

A partir de là, vous pouvez démarrer votre feu avec tout le matériel que vous aurez récolté et rassemblé à portée de main (poix, écorce de bouleau, feuille mortes, brindilles, bâtonnets…).
Pour conclure
En tout et pour tout, il m’a fallu environ 5 min entre le moment où j’ai vu l’arbre mort couché au bord du chemin et l’obtention de la flamme.
J’emmène quand même toujours un morceau de fatwood avec moi (j’en ai une boîte pleine à la maison…), mais je continue à en récolter chaque fois que je peux…et je n’ai jamais commandé de fatwood des Mayas sur internet !
Je vous encourage à explorer la nature et les bois aux alentours de chez vous, et d’y recenser le maximum de ressources utiles au bushcraft.
J’étais persuadé pendant des années que je n’avais pas de fatwood à portée de main, alors qu’en réalité j’en ai à ne plus savoir qu’en faire !
Allez dehors, et essayez !
Sylvestre Grünwald

6 réponses
Trop bien j adore te lire👍 tum fée voyager…bien sûr c’est mieux quand on y est le nez au vent dans les odeurs du sous-bois …et l ouïe en alerte. Si je survis à mes galères…jm ferai un plan d actions 🙂dès que possible et a ma mesure. Merci à toi l l’omdboi !
Salut Marylene
Content que mes chroniques te plaisent et te fassent rêver !
Article sympa. Je récolte aussi de cette façon mon bois gras (du plus loin qu’il m’en souvienne, nous l’avons toujours nommé ainsi). Pour allumer le feu, pour le sculpter ou pour le simple plaisir de le humer…
Salut Myanne
C’est une méthode tellement simple et tellement rapide. C’est cool de savoir que d’autres font comme ça au lieu de commander du fatwood sur internet 😜
Simple, clair,humain et donc très motivant.
Lu ce soir, demain, dès l’aube.., je partirai en forêt, mon appeau à fatwood dans la poche pour une traque sans pitié…
Mille fois merci pour vos précieux partages.
Salut Bernard
La traque au fatwood, excellent ! J’espère qu’elle sera fructueuse !