Chère Lectrice, cher Lecteur,
Pour toute bonne aventure dans la nature, une rando, un bivouac, un trail ou une expédition, vous devrez à un moment ou un autre planifier votre itinéraire, localiser votre position ou vous orienter sur le terrain.
Le duo classique « carte papier + boussole » restera toujours une solution acceptable, mais votre smartphone et les applications qu’il peut contenir offrent aujourd’hui une myriade de possibilités qu’il vaut la peine de connaître et qu’il serait sot d’ignorer.
Dans une nouvelle série de chroniques, je vais vous parler des outils de cartographie numérique à disposition du grand public, à savoir les géoportails et les applications pour smartphones
Je mettrai en avant les éléments intéressants pour lire le territoire, planifier des itinéraires et s’orienter. Je me baserai principalement sur le géoportail Suisse, avec lequel je suis très familier. Toutefois, ces éléments sont universels, et se retrouveront sur les autres plateformes cartographiques nationales, comme le géoportail IGN en France.
Cette première chronique introductive est en deux parties. Je commence par retracer l’histoire de la cartographie en Suisse, puis enchaîne en présentant les principales fonctions du géoportail de la Confédération.
Swisstopo
Le cartographe officiel de la confédération
L’office fédéral de topographie (renommé swisstopo il y a quelques années pour se rajeunir) existe depuis 1838.
Cet office remplit des fonctions civiles et militaires pour la connaissance et la représentation du territoire Suisse depuis ses débuts.
La carte Dufour
Il a été fondé par le (célèbre) Guillaume-Henri Dufour, auteur de la (fameuse) carte Dufour, qui fut la première cartographie intégrale officielle de la Suisse, à une échelle de 1:100’000e, publiée progressivement entre 1844 et 1865 sur 25 feuilles.

Pour les amoureux des belles cartes, l’intégralité de la Carte Dufour est disponible en ligne sur le guichet cartographique fédéral.
La Carte Siegfried
L’Office fédéral enchaîne dès 1870 avec la publication de l’Atlas topographique Suisse, aussi connue sous le nom de Carte Siegfried (le directeur de l’Office à cette date étant Hermann Siegfried). L’Atlas permet d’affiner l’échelle des cartes nationales au 1:25’000, échelle qui restera la base de toutes les cartes de détail publiées par l’Office pendant presque 150 ans, jusqu’au passage au 1:10’000 en 2016, au format numérique exclusivement.

La carte Siegfried intègre déjà les courbes de niveau, et est imprimée en trois couleurs (bleu, brun et noir). C’est une vraie carte moderne.
La série des « CN »
L’Office introduit dès les années 1930 plusieurs innovations techniques qui vont permettre de faciliter et rationaliser la production des cartes nationales, en augmenter le niveau de détail et le rythme des mises à jour.
Les deux principales évolutions sont l’utilisation des photographies aériennes pour faire de la photogrammétrie (mesure et représentation des éléments du territoire en utilisant deux photographies légèrement décalées) et la gravure sur plaque de verre (qui permet de travailler beaucoup plus vite que sur les plaques de cuivre précédemment utilisées).
Il faut attendre 1979 pour que la dernière feuille de la série CN25 soit publiée, et que la Carte Dufour soit alors intégralement remplacée (après presque 110 ans de service).
Ces cartes intègrent dorénavant des ombrages pour mieux souligner le relief et des couleurs supplémentaires, notamment le vert pour les zones forestières. C’est depuis cette époque que la série complète des « CN », les cartes nationales, est disponible : CN25 (au 1 :25’000), CN50 (au 1 :50’000) et CN100 (au 1 :100’000), avec le style et la gamme de couleur qui est restée quasiment la même jusqu’à nos jours.
C’est ce style qui donne la « patte » typiques aux cartes helvétiques, et avec laquelle je suis familier depuis mon enfance (mon père avait toujours une caisse remplie des CN25, que j’adorais consulter).

Numérisation croissante
Dès 1959, et pour les 40 années suivantes, swisstopo intègre progressivement l’usage du numérique dans ses métiers.
Au début, il s’agit simplement de réaliser les calculs géodésiques avec des calculatrices électroniques, puis de travailler sur des ordinateurs centraux.
Le premier grand projet numérique de swisstopo est la création d’un Modèle Numérique de Terrain (MNT) basé sur les courbes de niveaux de la CN25 (d’où le nom MNT25). Ce projet nécessite plus de 12 ans de travaux.
On note aussi l’usage du GPS pour les levés de terrain dès 1987, et la cartographie sur ordinateur (signifiant l’abandon progressif de la gravure à la main) dès 1995.
Dès 1996, la photogrammétrie aérienne passe également sur numérique, permettant la production et la publication d’orthophotos (photographies aériennes, redressées et corrigées pour pouvoir être projetées sur la carte nationale).
Le rythme des évolutions vers le numérique s’accélère dès le début des années 2000, avec la mise à jour du MNT25 vers un nouveau modèle (le MNT-MO) proposant une précision de l’ordre du mètre. En 2004 swisstopo achève la couverture complète de l’entier du territoire suisse par orthophotographie, avec une précision de l’ordre de 50cm par pixel, puis enchaine en passant à 25cm par pixel dans les zones de campagnes et de ville grâce à des nouvelles caméras embarquées.
En parallèle à l’évolution technique, la société et le rôle de swisstopo évoluent. Dès 2008, une nouvelle loi sur la géoinformation est votée, qui préconise la mise à disposition rapide, facile et durable des géodonnées au public, à l’économie et à la science. Les coûts de mise à disposition des géodonnées baissent, et une bonne partie est mise à disposition gratuitement. Dès 2010, swisstopo ouvre son portail geo.admin.ch.

S’appuyant sur des acquisitions aériennes par LIDAR, swisstopo améliore dès 2013 le modèle altimétrique de terrain sur toute la Suisse. Les CN25 sont entièrement révisées dès 2014, et la CN10 (uniquement disponible au format numérique) apparaît en 2016.

Le géoportail
L’entier des cartes produites par swisstopo depuis ses débuts sont disponibles sur le portail map.geo.admin.ch.
L’usage de ce portail est aisé puisque les thématiques peuvent être recherchées dans la barre de recherche, ou dans le menu déroulant latéral.

Depuis la page de base, via le menu déroulant, il est ainsi possible (entre autres) :
- d’accéder à l’entier du catalogue de géodonnées
- de mesurer et dessiner sur la carte
- de générer des profils en long automatiquement
- de partager des positions
- d’imprimer des cartes aux formats A3 et A4 avec échelle et quadrillage
Depuis l’écran lui-même, on peut basculer entre la carte, l’orthophoto et le modèle 3D du paysage.


Les fonctions indispensables d’un géoportail
Fonctions de base
Les fonctions que j’utilise le plus sur le géoportail sont les suivantes :
- Visualisation de la carte CN25 et CN10
- Visualisation de l’orthophoto
- Visualisation du Modèle Altimétrique ALTI3D
La bascule entre ces trois visualisations me permet de connaître la nature du terrain (via la symbologie de la carte et l’orthophoto). Les courbes de niveau de la CN et le modèle altimétrique me permettront d’appréhender le relief de la zone.
L’option avancée « Comparer » me donne un curseur qui me permet de passer rapidement d’une visualisation à l’autre.
Sur l’exemple ci-dessous, je vois bien sur la CN que je suis en zone forêt, qu’il y a des barres de falaise et que c’est raide (les courbes de niveau sont rapprochées). L’orthophoto me permet de saisir également que la couverture forestière est clairsemée. Sachant que je suis en forte pente orientée sud-est, et au vu du contour des arbres et de la couleur du sol, je comprends que j’ai vraisemblablement à faire à une chênaie sur un éboulis.

Le modèle altimétrique me permet d’aller encore plus loin dans l’analyse du relief. L’acquisition de la surface du terrain par LIDAR (Light Detection And Ranging) offre une précision suffisante (de l’ordre de 10cm !) pour faire apparaître les chemins, les sentiers et les traces, même sous le couvert forestier.
J’utilise principalement cette fonctionnalité pour comprendre, dans la zone que j’étudie, s’il existe des chemins non répertoriés sur la carte. J’ai ainsi pu identifier sur ce modèle numérique des pistes que j’ai ensuite retrouvé lors d’une de mes sorties trail « exploration ».

Fonctions de mesure
Le géoportail intègre des outils de mesure, permettant notamment de mesurer une longueur et un azimuth, et de tracer un profil en long.

L’utilité de cette fonction est immédiate : mesurer une distance entre un point et un autre, comprendre facilement le dénivelé à franchir, estimer la pente, connaître une orientation…
Le défaut majeur (et à mon avis, le seul) des outils de Dessin & Mesure du géoportail est qu’il n’est pas possible de se caler automatiquement sur les chemins pédestres ou les routes pour tracer un itinéraire.
Ainsi, si je veux connaître la distance totale à marcher sur le tronçon de chemin pédestre ci-dessous, je suis obligé de cliquer point par point à chaque virage ou changement de direction. C’est laborieux et peu précis !
Cette fonction est disponible sur l’app « swisstopo » qui offre un jeu de données bien plus réduit que le géoportail, mais des outils de planification d’itinéraires plus avancés.
D’autres plateformes de cartographie comme Gaia GPS proposent par défaut la fonction d’accrochage (snap) sur les chemins vectorisés.

Les jeux de géodonnées
Parmi les innombrables couches de données disponibles, certaines sont particulièrement utiles pour la pratique du bivouac et du trail.
Je consulte fréquemment les couches suivantes :
- Périmètre des réserves naturelles (restrictions d’accès et camping interdit)
- Zones humides, bas-marais, hauts-marais (zones protégées, et accès difficile, mais présence d’eau !)
- Zones de protection des sources (zones protégées, mais présence d’eau !)
- Zones de dangers naturels : avalanches, chutes de pierre (prudence si j’y passe)
- Zones de tir de l’armée (accès restreint)
Les cartes historiques
J’utilise aussi parfois la fonction « Voyage dans le temps » qui permet d’afficher toutes les éditions des cartes depuis 1844 jusqu’à aujourd’hui, en repassant par la Carte Dufour, la Carte Siegfried, puis toutes les mise à jour des CN.
Cette fonction m’intéresse particulièrement, car un de mes jeux favoris quand je vais courir c’est explorer et découvrir de nouveaux itinéraires reliant ou longeant ceux que je connais déjà.
Or, depuis les années 2000, la CN a subi un rafraîchissement marqué au niveau des chemins pédestres. Un grand nombre d’entre eux ont été effacés de la carte…mais pas toujours du terrain.
Cet accès aux cartes historiques me permet de rechercher ces vieux itinéraires.
Dans l’exemple ci-dessous, j’ai pu retrouver le chemin « disparu » : il s’est transformé en sentier câblé et n’est plus utilisé que par le gestionnaire local du réseau électrique pour l’inspection de ses pylônes. J’y suis allé avec mon père et un pote, en équipement de via ferrata.

La fonction historique permet également de repérer des ruines, qui sont toujours fascinantes à explorer.
Sur l’image ci-dessous, on voit un bâtiment sur la Carte Dufour de 1943, qui n’apparaît plus du tout sur la CN25 de 2022. Un passage sur place m’a permis de retrouver les ruines de cette ancienne centrale hydroélectrique.


Pour finir
Comme mentionné plus haut, les fonctions de planification d’itinéraire de map.geo.admin.ch sont limitées, et je passe souvent par une autre plateforme quand je veux prévoir la distance et le dénivelé exact de l’itinéraire que je compte emprunter sur des chemins existants.
Par contre, quand il s’agit d’explorer ou de comprendre le territoire, de trouver de nouvelles idées ou de nouveaux chemins, la richesse de ce géoportail est vraiment saisissante !
Voilà pour cette introduction. Si vous me lisez depuis la Suisse, je vous encourage à découvrir de suite cet outil fantastique mis à disposition par la Confédération.
Je viendrais, dans des prochaines chroniques, sur l’application pour smartphone de swisstopo, que j’utilise aussi très couramment quand je suis sur le terrain, et sur d’autres alternatives comme Gaia GPS.
Allez dehors, et essayez (mais commencez devant votre ordi) !
Sylvestre Grünwald
