Chère Lectrice, cher Lecteur,
Voici la suite de mes aventures en Allemagne, où j’ai pris part à une mini-expédition guidée alternant randonnée et navigation en packraft.
Dans la chronique précédente, je vous ai parlé de mon voyage jusqu’en Allemagne, et du premier après-midi au camp et sur la rivière, ou un premier accident de navigation s’est déroulé.
Aujourd’hui j’entame le premier jour vraiment sérieux de l’expédition !
Mauvaise nuit
Est-ce la fondue à l’allemande ? La lumière du lampadaire éclairant le terrain de camping ? Le froid ?
Je passe une nuit affreuse. J’ai ce sentiment de ne pas avoir dormi une seule minute.
En fait, je sais pourquoi j’ai mal dormi : je suis anxieux par rapport à l’expédition et je n’ai pas le moral. Je suis loin de chez moi, entouré de gens qui parlent une autre langue que la mienne, et il fait froid.
Nous plions nos tentes et refaisons nos sacs, et partons déjeuneur. Je n’ai pas d’appétit. Je suis stressé et désorganisé, et ai l’impression d’être en retard sur tout le monde. Je fais et refais mon sac plusieurs fois.
Finalement, nous embarquons dans un bus, qui va nous emmener à quelques dizaines de kilomètres du camping de Monzingen jusqu’à notre point de départ à pied.
Je tente de dormir, mais comme toujours, je suis très mauvais pour faire la sieste dans un véhicule. J’écoute les conversations de mes camarades, mais ils parlent entre eux, donc trop vite pour moi. Mes enfants me manquent, et j’ai presque la boule dans la gorge.
Après environ une heure de route, nous arrivons à notre destination : un petit village allemand anonyme, d’où part le chemin pédestre que nous allons emprunter. Une particularité : c’est là qu’émerge un des premiers affluents de l’Idarbach, sur lequel nous naviguerons plus tard dans la journée. L’Idarbach lui-même se jette dans un affluent de la Nahe, qui nous ramènera au camping de Monzingen.

En marche
J’en ai marre de broyer du noir tout seul dans mon coin. Je tente de relativiser ma situation, et me dit que mon état d’esprit actuel est dû au manque de sommeil, et que, objectivement, je n’ai aucune raison de me plaindre.
Je prends la décision de consciemment « sortir de mon trou », et me mets un coup de pied au cul : Je vais me changer les idées en faisant connaissance des mes camarades.
Je jette mon dévolu sur Béa, avec qui je me mets à baragouiner dans un mélange d’allemand et de français. Béa a passé quelques temps en France, et est très contente de pratiquer la langue de Molière. Elle me parle en français, je lui réponds en allemand, nous corrigeons nos erreurs respectives, et complétons avec de l’anglais au besoin. Au fil du chemin, d’autres participants vont et viennent autour de nous et se mêlent à la conversation.
L’effort physique, le poids du sac, l’aspect pittoresque des paysages et la discussion avec les autres, me tirent rapidement de ma mauvaise humeur.

Je découvre petit à petit des gens magnifiques.
J’apprends que Béa a déjà fait le « petit » Hunsrück Tour, dont la première nuit se déroule au camping, et qui ne comporte qu’une journée de navigation sur la Nahe. J’apprends que Sebastian, notre guide, est fan de douches froides, comme moi (alors que Sabine ne supporte pas ça). Le fait que Sebastian se promène en tongs, alors qu’il fait à peine 5°C et que nous marchons dans des champs humides m’interpelle : il est passé par l’étape chaussures minimalistes, avant de faire le pas de vivre pratiquement toute l’année à pieds nus, même en hiver.

Je découvre la relation intéressante entre Sabine et son ex-mari Rudi, constate qu’il souffre d’une mauvaise condition physique et d’un sac trop lourd, et voit beaucoup de tendresse de la part de Sabine qui le taquine un peu et le « chouchoute » beaucoup.

Repas de midi et première transition
Nous marchons une dizaine de kilomètres le long de l’Idarbach, avant d’arriver à notre point d’embarquement. A l’aval de celui-ci, le cours d’eau commence à être navigable !

Chacun commence à déballer ses affaires en vue de faire la transition entre la terre et l’eau. Voici comment l’on procède :
- Déposer le sac à dos
- Décrocher le packraft, mettre de côté la pagaie, la jupe et le gilet de sauvetage
- Dérouler le packraft et ouvrir la fermeture étanche
- Transférer les affaires « de nuit et de camp » dans les sacs étanches et glisser ceux-ci dans les boudins du packraft
- Y rajouter le sac à dos vide et les chaussures de randonnée
- Vérifier que l’on a bien gardé avec soi toutes les affaires que l’on aura besoin sur l’eau, ainsi que le picnic
- Fermer la fermeture étanche et gonfler le packraft
- Gonfler les sièges et l’appui-dos
- Accrocher le deck-pack à la proue du bateau
- Enfiler sa dry-suit
Une fois la dry-suit enfilée, on se sent déjà beaucoup mieux : l’endroit où l’on s’est arrêté est très exposé au vent, et il doit faire moins de 5°C. La dry-suit protège bien mieux du froid et du vent qu’une veste et un pantalon étanche séparés. Certains participants ne la quitteront d’ailleurs plus à part pour dormir pendant les deux prochains jours !
Vu les températures et la nébulosité, Sebastian propose que l’on mange très rapidement et reparte tout de suite. Mais il le dit en allemand, et je rate le message : je commence à m’installer pour un copieux pic-nic, alors que tout le monde mange sur le pouce en vitesse et s’apprête à repartir.

J’ai le temps de déguster une soupe miso (quel bonheur d’ingérer un liquide chaud), et de me préparer un « burritos » mayo/fromage/cornichons, avant de me rendre compte que tout le monde m’attend ! A regret, je remballe ma nourriture et avale encore une poignée de noix de cajou et de fruits secs.
Notez ce bon truc pour les randonnées par temps froid : le matin au camp, préparez vous un thermos d’eau chaude, que vous utiliserez à midi pour vous préparer une soupe instantanée. J’ai trouvé au magasin asiatique des soupes miso, avec un sachet d’épices, de légumes et de tofu déshydraté, et un autre de miso. Le tout a bon goût, apporte des minéraux, réchauffe, et surtout réhydrate.
A l’eau !
Nous mettons donc à l’eau rapidement, et commençons le premier tronçon de navigation. Le cours d’eau est modeste, peu large, et très encombré par les arbres.
Pour la navigation, Sebastian nous scinde en deux groupes, l’un mené par lui-même (Team Party), et l’autre par Jochen (Team Action). Il a équilibré les groupes sur la base de notre comportement sur l’eau la veille. Il demande aux navigateurs les plus expérimentés de fermer la marche. Je me retrouve dans l’équipe de Jochen, et nous commençons à pagayer derrière lui sur le cours d’eau.
Nous comprenons rapidement que ça ne va pas être une descente tranquille. Certains troncs en travers de la rivière sont infranchissables, et nous devons alors à chaque fois accoster, descendre du packraft, et porter celui-ci à l’aval de l’obstacle.
Je suis vraiment content d’avoir sélectionné du matériel ultra-léger. Mon packraft, contenant toutes mes affaires, pèse moins de 20 kg, et se porte assez aisément sur l’épaule, une fois le point d’équilibre trouvé. Pour les portages les plus longs, Sebastian nous montre un truc pour passer la pagaie dans les sangles du bateau, permettant ainsi d’avoir une prise confortable sur le fût de la pagaie.

Je vois rapidement qu’à chaque portage, je me retrouve facilement dans les premiers sortis et les premiers de retour dans l’eau, alors que d’autres comme Béa ou Rudi, se battent avec leurs paquetages lourds et encombrants.
Très naturellement, et sans que nos guides aient à nous convaincre, une routine se met en place : à chaque portage, les plus en forme sortent leurs bateaux, puis aident systématiquement les autres à accoster, à descendre du bateau, à tirer celui-ci sur la berge, et à le porter jusqu’au point de remise à l’eau.

Je me retrouve parfois à faire deux aller-retours par portage. Rudi est dans notre groupe, et son bateau est incroyablement lourd !
Certains troncs sont affleurants sous la surface de l’eau, et nous pouvons glisser les bateaux par-dessus. Dans d’autre cas, il faut se faufiler sous le tronc, et il n’y a alors pas besoin de descendre du bateau. Là aussi, le premier venu sur l’obstacle aide les autres à passer.


La météo reste triste, et le ciel morne. C’est réjouissant de voir les couleurs vives de notre équipe dans ce paysage terne.
Après quelques kilomètres, et une succession de courts tronçons navigables et de portages, couvert de boue, je me prends à sourire. Finalement, je suis en pleine forme, j’éprouve du plaisir malgré ces obstacles, et la dynamique de notre groupe est excellente. Mon moral plombé de ce matin est remonté. Je suis connecté avec mon corps, et enfin dans l’aventure !
Plus loin, l’Idarbach se jette dans le Hahnebach. Il y a un peu plus d’eau, et les troncs se font plus rares. Nous entrons dans une zone beaucoup plus sauvage de la rivière. Elle fait des méandres dans une gorge assez encaissée, et il ne reste qu’un petit sentier sur une des berges : pas de voitures, pas de maisons. Le silence de la nature nous entoure, et l’ambiance devient magique quand nous pénétrons entre des falaises d’ardoise noires et qu’il se met à neiger !
Nous faisons quelques pauses en route pour soulager les vessies ou grignoter un snack, mais beaucoup se refroidissent rapidement aux arrêts.
Vers 17h00, alors que la luminosité commence à baisser, nous arrivons à notre destination pour la nuit : le château du Schmidtburg. Cette ruine médiévale domine un méandre de la rivière, dressé sur un éperon rocheux. Nous dormirons cette nuit dans une des cours extérieures du château. Il y a de l’eau courante (mais pas potable), et des toilettes sèches à disposition.
Chacun monte sa tente à l’emplacement de son choix, pendant que Simon et André coupent du bois et allument un gros feu de camp (un bonheur pour se réchauffer les pieds et faire sécher les affaires).

Je comprends enfin pourquoi le sac de Rudi pèse autant : il dort seul dans une tente trois places, et transporte des tupperwares remplis de chocolat. Il en offre à tout le monde, et même si durant l’après-midi j’ai maudit son inconscience d’avoir un sac aussi chargé, je lui pardonne rapidement car le bonhomme est jovial et attachant.
Une aventure en autonomie
Un de principe peut-être surprenant du Hunsrück Tour est celui-ci : bien que nous voyagions en groupe, chacun est totalement autonome : pas de partage de tente, pas de mise en commun du matériel de cuisine, chacun amenant et cuisinant sa propre nourriture (quoique, rapidement, nous troquons chocolat contre noix et fruits secs contre fromage).
J’ai donc mon matériel de cuisine complet, avec mon réchaud à gaz Soto Amicus ultra-léger, ma fidèle popote aluminium de GSI (qui va autant sur le gaz que sur le feu de camp), mon bol pliable Orikasu, et une spork en titane de Light My Fire.
A posteriori, je me rends compte que j’ai prévu beaucoup trop de nourriture. C’était un grand point d’inquiétude pour moi, et j’ai surcompensé en prenant trop de repas.
Pour le midi, j’ai toujours une soupe ou une purée instantanée permettant d’avoir un repas chaud, du fromage ou du tofu séché à disposition. Pour le soir, des repas lyophilisés ou déshydratés maison (voir ma chronique précédente).
Pour le déjeuner, l’incontournable porridge, et en snack des noix de cajou, de pécan et de macadam et beaucoup de fruits secs.
Prêts pour la nuit
Après un bon repas chaud et une tisane, je me mets rapidement au lit. La température est proche ou inférieure à zéro, et Sebastian nous annonce qu’il s’attend à bien plus froid pendant la nuit. J’ai gardé tous mes habits chauds pour la nuit au cœur de mon paquetage, absolument protégés contre l’humidité dans un sac étanche. Je ne les mets que juste avant d’aller me coucher : sous-vêtements en mérinos, chaussettes épaisses, bonnet, doudoune. Je me glisse dans mon liner thermique, puis sous mon quilt lui-même sanglé sur mon matelas Exped Downmat. Le tout est à l’intérieur du sac de bivouac Black Diamond que j’ai commandé en catastrophe juste avant de partir (quand j’ai vu que le mois de températures printanières s’achevait juste au moment ou je partais pour cette expédition !).
Je n’ai pas froid, mais n’ai pas vraiment chaud non plus. Je comprends assez vite que le sac de bivouac que j’ai commandé n’est pas adapté aux dormeurs de côté (comme la plupart des sacs de couchage et des sursacs, d’ailleurs) : quand je me tourne, la garniture isolante de mon quilt est compressée contre la toile du sac de bivouac, et je sens le point de froid. En plus, le tissu soi-disant « nanotec ultra-respirant » s’avère très décevant : la face intérieure du sac est très rapidement couverte de condensation. Des gouttes d’eau glacée me tombent sur le visage quand je bouge trop.
Je redoute une nouvelle nuit sans sommeil, essaie de trouver la position la moins inconfortable, et me prépare pour de longues heures jusqu’au lendemain…
Après cette première journée vraiment dans l’action, je vais beaucoup mieux. L’activité physique m’a reconnecté avec l’instant présent, et j’apprécie la camaraderie et les discussions avec les autres participants.
Et plus que tout, j’apprécie d’avoir pu, après une demi-journée de marche, faire la transition en mode packraft ! Le fait de pouvoir mettre à l’eau dans un tout petit cours d’eau au milieu de la campagne, et de ressortir le soir au pied d’une imposante ruine est incroyable.
Dans la prochaine chronique, j’aborderai le 2e jour de navigation et de randonnée, ou d’autres belles surprises nous attendent.
Allez dehors, et essayez !
Sylvestre Grünwald
